Dernier Rempart

« Quelle ironie…
Nous avions foi en la nature humaine. Nous pensions que dans les moments les plus sombres de son histoire, nous ferions face. Ensemble. Unis.

Lorsque la Mort Pourpre s’étendit tel un linceul morbide sur notre monde, j’ai cru que nous pouvions l’arrêter. Nous pouvions lutter contre. Hélas, il n’en fut rien. Les rois écoutèrent sans entendre. Les dirigeants annoncèrent, mais ne firent rien. De grands discours, voilà ce que je retiens de cette triste époque. Mais nul acte de bravoure, nulle armée à la grandeur de la menace ne fut levée. Lorsque les petits royaumes du sud se firent dévorer un à un par la Plaie, nul ne vint à leur aide. La Mort Pourpre paraissait si lointaine, si irréelle… Tels des charognards sans pitié, les empires s’entre dévoraient. Certains furent forcés de se battre sur deux fronts : d’un côté, des forces invincibles et inconcevables, de l’autre, des soldats entraînés et bien décidés à profiter de la faiblesse de leur pays.
Stupide, et pourtant… Si profondément humain…

Nous avons perdu. Nous avons perdu notre pari face au Destin. Je me rappelle des prêtres de cette époque, affirmant que le Triple Dieu avait décidé de châtier ses enfants. Je me souviens de ces fanatiques, entraînant avec eux des enfants afin de les donner en pâture à la Plaie. Certains évoquaient une épreuve divine. Nous ne devions faire plus qu’un, face à la Mort Pourpre, et l’annihiler de concert. Nous échouâmes pitoyablement.
Mais si tout cela était réellement l’œuvre d’une entité supérieure, bienveillante envers ses enfants, pourquoi leur envoyer de si hideux représentants ? Pourquoi tant de morts, pourquoi tant de douleur ? J’ai vu des créatures que mon esprit lui-même répugnait à entrevoir comme réelles. J’ai vu des actes que même l’être à l’âme la plus noire ne pourrait commettre sans aller à l’encontre de sa conscience, si enfouie soit-elle.

Alors nous fuîmes. Nous abandonnâmes nos allégeances, nos convictions, et nos rêves. Nous atteignîmes l’île d’Ava, qui n’avait pas encore subi la corruption de la Plaie. La population était hostile à notre arrivée, mais notre survie était sur la balance, et nous força à commettre des actes que je regrette, à présent. Tout cela était cependant nécessaire.
Sur la côte du continent, nous investîmes une citadelle, qui devint très vite la dernière chance d’Ava de rester à l’écart de la Mort Pourpre. Nous devînmes alors les défenseurs d’une humanité à l’agonie, gardiens d’une époque désormais révolue.
Formant un dernier rempart face à la destruction de notre monde, nous ne faisons que retarder l’inévitable. L’espoir nous a quittés depuis maintes lunes, à présent, et nul ne se fait d’illusions quant à la réussite de notre entreprise.

Mais que serions-nous si nous n’essayions pas ? Que ferions-nous ? Accepter son funeste destin est-il plus sage que de lutter contre lui ?
Je meurs dans le doute et le désespoir. »

Selvhen Joramond, premier roi du Dernier Rempart .